Alors : vocalité – voix , musicalité – musique ?
Ou bien ce néologisme est-il un simple sous-ensemble de celui de la voix ?
Le mordant, le volume, le vibrato, l’épaisseur et la couleur,
sont autant d’éléments caractéristiques du timbre vocal. Il contribuent à le rendre unique et souvent reconnaissable. On ne peut confondre longtemps Mirella Freni et Nathalie Dessay, Feodor Chaliapine et Marti Talvela, ou encore Alfred Deller et Gerard Lesne.
Les langues maternelles prédisposent chacun de nous à l’usage de phonèmes variés, à une utilisation du système phonatoire particulière. Après l’émission par les cordes vocales, le son émis est alors filtré par l’appareil phonatoire (le corps), mais aussi par l’usage que l’on en fait (la culture) . Je ne puis m’empêcher de penser à Nina Simone et Jacques Brel interprétant chacun en français : «Ne me quitte pas».
Il ne fait aucun doute que l’ouverture d’esprit, l’enrichissement personnel, la connaissance, la curiosité artistique , sont autant d’éléments qui contribuent à notre construction . Ils modifient progressivement, et sensiblement la vocalité d’un interprète, la sonorité d’un instrumentiste, tout comme le temps , par la maturation du corps associée à la pratique, en modifie la voix. On peut y ajouter l’état psychologique du sujet .
Notons qu’à la grande époque de l’Aria da capo, la vocalité d’un même rôle et par conséquent d’un personnage évoluait au cours de l’air : la reprise invitant le soliste à de virtuoses aventures ornementales, variant en fonction des possibilités techniques de l’artiste, mais aussi des modes et des écoles . Naples , Venise, Londres ...
N’y aurait-il pas, dans les musiques traditionnelles, autant de langues que de vocalités ?
Les productions vocales du Nôgaku japonais, les cris de chasse pygmées, le chant yodlé Suisse sont autant d’appels, de cris. Le travail sur le souffle comme composante du timbre au Burundi, ou du rythme chez les Touaregs étend encore les champs de la vocalité. A la lisière de la parole, du chant, de la déclamation chez les Kanaks (extr.21), dans certains rituels Bouddhiques, dans le Sprechgesang d’A.Schoenberg, ou tout cela réuni dans certaines ballades Roumaines...
Le domaine du timbre, des couleurs nous emporte en Espagne , au Brésil, en Afrique...
En occident, on applaudit cette aptitude à la vocalité des autres, chère aux chansonniers – imitateurs, dont la souplesse des cordes vocales associée à un larynx asymétrique ne serait rien sans la culture de l’identification à l’autre.
Et puis, cette vocalité partagée avec l’instrument de musique : la mise en vibration les cordes vocales tout en faisant sonner simultanément la flûte, mêlant intimement leurs timbres ( Iles Salomon ). Tout comme au Laos, d’ailleurs ...
Le Rias Kammerchor de Berlin , le chœur de chambre de la radio suédoise, Le Collegium vocal de Gand, Le King’s Consort de Londres , nous frappent par leurs différences, leur « cultures » vocales , leurs couleurs, leurs sens singulier de l’articulation, leur aptitudes respectives à projeter un texte chanté.
Le travail sur un répertoire donné, la langue et la culture du pays, le choix des chanteurs par le chef de chœur, la prise en compte du texte musical à une époque donnée dans l’histoire de l’interprétation du compositeur choisi...
Tout cela participe de la vocalité d’un chœur : Concerto Italiano dans les Madrigaux de Monteverdi , La Chapelle royale dans des motets d’Henri Dumont, Les Tallis Scholars pour Palestrina, les Swingle Singers dans le Sinfonia de L.Bério , ou dans de grands standards de Jazz .
Nos élèves, attentifs à l’exemple vocal du chef de chœur en répétition, du professeur en classe, tâchent de reproduire l’exemple entendu. Répétant, autant que faire se peut, la mélodie, les paroles du chant, le rythme, ils imitent, souvent à leur insu, la couleur de la voix du maître ; les plus doués d’entre eux jouant parfois avec la notion de mordant. Le vibrato, l’épaisseur et le volume (confondu fréquemment avec l’intensité), sont davantage liés à la morphologie, associée au travail sur le long terme...
La vocalité instrumentale existe –elle ?
A cet instant , on peut songer à la clarinette dans le Klezmer, imitant la voix humaine et les idiomes sonores du Yiddish .Une fusion identitaire au service d’ une vocalité instrumentale unique.
Qu’en est-il de l’imitation de la voix et de cette recherche de vocalité par l’intermédiaire de la machine ?
Différents synthétiseurs nous proposent des réponses .
La première, est issue du modèle source/filtre : à partir des sons à synthétiser, des règles de synthèse permettent d’inférer les paramètres acoustiques du signal-source et les paramètres du conduit vocal ; le son est ensuite calculé par un programme qui simule un générateur de source et un filtre. La démarche nous rapproche d’une forme de vocalité par une imitation de la production vocale.
En ce qui concerne les synthétiseurs articulatoires, les sons sont décrits par les propriétés physiques, géométriques et dynamiques de la voix humaine. La position des articulateurs, la géométrie du conduit vocal sont reproduits dans cette démarche. La vocalité est ici induite par l’imitation du fonctionnement de l’instrument – voix. Les expositions internationales des années 40 et 50 mirent à l'honneur des appareils de ce type pour imiter la voix humaine parlée .
Et puis il y a aussi les principes d’échantillonnage : un catalogue de sons et de phonèmes avec leurs enchaînements est établi. Il ne reste qu’à concaténer (recoller les morceaux). Si les résultats sont souvent d’excellente qualité, il nous éloignent , à mon avis, du concept de vocalité ne serait-ce que par l’absence totale du geste vocal . Tout est ici enregistré . Le contrôle musical de la technologie ressemble davantage à celui d’un instrument de musique qu’à celui de l’organe phonatoire .
On le voit la frontière entre voix et vocalité est mince, comme l’est toujours celle entre un substantif et un néologisme associé. Le commentaire musical a besoin de ces termes « par extension » qui en précisent, ou en orientent les champs de réflexion, en même temps qu’ils en dessinent l’univers.